Fleurs de bitume, nous serons vos jardiniers
Si on laissait tomber pesticides, chalumeaux, lance-flammes, eau chaude pour leur offrir une paix royale aux fleurs ? Si on signait la paix avc les herbes folles ? L'idée ne séduit pas que les fous : au printemps dernier, dans le quartier Zola, à Nantes, une main poétique a tracé au sol le beau nom des mauvaises herbes :

orge des rats,

potentille,

seneçon,

pulsatille,

herbe aux gueux,

armoise,

vergerette,

milllepertuis,

pissenlit,

pâturin,

laiteron

et surtout celle qui porte le plus beau nom : la ruine de Rome.

La belle idée de dire leur nom venait d'un petit poucet des herbes folles, Frédérique Soulard, petite fille d'herboriste et conteuse. Grâce à ce Gandhi des trottoirs, nous ne regardons plus de la même façon ces flores miniatures qui ensauvagent les pieds des arbres.
Alors que l'aménagement urbain atteint un lissé quasi funéraire, l'apparition d'un brin d'herbe sur une place nantaise fera-t-il bientôt la une ? L'heure est peut-être venue pour une révolution verte du coin des rues. L'aseptisation d'une ville envisagée comme un appartement chic a fait son temps : que cent fleurs sauvages s'épanouissent, accueillons l'apparition d'une humble pulsatille dans une fissure du macadam comme la promesse d'un jardin qui s'étendrait au fil des rues et dont chacun serait le jardinier.
Des lance-flammes ? Nous disposons d'un outil moins agressif qui sert à la fois à arracher et à planter, à semer et à cueillir : la main. Demain, si nous le voulons, notre rue grise sera l'Ile de Ré. Désirons les plantes indésirables, aromatisons les palissades, soyons des Le Nôtre pour nos trottoirs, des spontanéistes du pissenlit. Et d'ailleurs, la rue n'est-elle pas un nom de plante ?

Daniel Morvan pour Ouest-France du 8/10/2014