Par Yves Paccalet

Elles sont à nouveau là : j’ai vu la première épanouie dimanche dernier. Le plus touchant, le plus rassurant et le plus beau chez les espèces végétales, c’est leur fidélité : on peut compter sur elles. Année après année, elles honorent leur rendez-vous du calice, de la corolle, de l’étamine et du pistil ! L’être le plus fragile de la nature crée le lien le plus solide. Les voilà refleuries, près du refuge du Mont-Jovet, juste sous la cime, sur le plan paisible où paissent les vaches au plus haut de l’alpage... Elles sont au rendez-vous, mes belles, mes étranges, mes somptueuses gentianes pourpres, dont la teinte évoque celle de la robe des princesses de la Renaissance... En ces temps de fureurs humaines, de colères criminelles, de têtes tranchées, d’exécutions massives au nom de Dieu, je me plais à penser que ces corolles ont pris la couleur du sang pour rappeler aux assassins fanatiques à quel point celui-ci est précieux. Non pas sacré : tout ce qui se prétend "sacré" me terrorise, me hérisse ou m’écoeure. Rien n’est sacré. Mais le sang de la vie est un poème. Une chose de beauté, dirait Keats. Une joie à jamais.
http://www.altermonde-sans-frontiere.com/spip.php?article31928