• Quand j'étais lémurien ...

    Je me souviens du temps où j’étais lémurien. Plus jeune et plus beau qu’à présent. Plus vif et plus rapide… Un museau fin, des yeux maquillés de khôl, des muscles déliés et une longue queue en panache pour discuter avec les miens dans le langage des signes…

    Ça ne date pas d’hier. Ça remonte au début de l’ère Tertiaire, voici 65 millions d’années, juste après la catastrophe planétaire qui extermina les dinosaures et quatre-vingts pour cent des espèces. En ce temps-là, de nombreuses niches écologiques étaient libres. Ma lignée en a profité – celle des lémuriens… D’autres primates du même groupe vivaient alors sur le continent africain. Ils allaient engendrer les singes, parmi lesquels un rameau mènerait aux anthropoïdes, aux australopithèques et à l’espèce humaine.
    Les lémuriens ont disparu d’Afrique. Ils ont survécu à Madagascar, parce que cette île-continent s’est détachée de sa terre-mère avant les désastres de la fin du Secondaire. Durant tout le Tertiaire, mes frères indris, cattas, makis, microcèbes, etc., y ont évolué en paix, dans de sublimes forêts de baobabs rehaussées de ravenalas (les « arbres du voyageur »), entre lesquels détalaient des super-autruches appelées « aepyornis ».
    J’étais jeune et beau, j’étais un lémurien de base, un prolo du groupe, le vulgum pecus des lémurs – mais satisfait de mon sort. Jusqu’à ce que mes cousins primates Homo sapiens débarquent dans la grande île… Des Africains, des Indiens, des Malais voici plus de mille ans. Des Européens à partir des Grandes Découvertes… Biotopes dévastés, forêts incendiées, terres stérilisées, rivières polluées, chasse intensive, massacres !

    Je ne suis plus qu’un vieux lémurien menacé de disparition. Le dernier de son groupe, peut-être de son espèce… J’ai appris de l’humanité une seule chose : faire sortir de l’eau de mes yeux. Je pleure sur la beauté perdue de Madagascar, où il suffirait pourtant d’un peu de sagesse pour que chacun puisse à nouveau vivre heureux…

    yves-paccalet.fr


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