• Un petit creux ?

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    L'anthropologue français Georges Guille-Escuret publie une impressionnante somme sur le cannibalismeen Afrique, en Amérique et en Océanie.Des territoires où de nombreux hommesont longtemps mangéde l'homme. Mais pas tous les jours et sans sadisme, révèle-t-il.

    Manger de l'homme ? L'horreur absolue, l'innommable... « On n'arrive pas à parler ' normalement ' du cannibalisme », prévient Georges Guille-Escuret, anthropologue et chercheur au CNRS. C'est le sujet tabou par excellence. Le fossé qui sépare le barbare du civilisé. Aux yeux de ce dernier, évidemment.
    Nous, les cartésiens, les chrétiens, restons médusés par le Radeau de la méduse, et ses marins contraints de se béqueter pour survivre, écoeurés par ces vieilles histoires de marché africain où le cuisseau d'homme se négociait à l'étal.
    Nos journaux s'affolent lorsqu'un Japonais déguste le foie de son ex-petite amie ou lorsque, comme hier, à Miami, un Américain sous l'emprise de drogue dévore le visage d'un homme avant d'être abattu par la police... Au risque de confondre psychopathes et VRAIS mangeurs d'hommes. Ceux qui ne se posent pas la question de savoir si la chair humaine est bonne ou pas. Grand-père en mangeait, c'est comme ça.
    Pour aborder l'anthropophagie, « il faut évacuer la fascination, le rejet, avoir de la méthode », assure notre anthropologue. Lui-même ne s'y est intéressé que tard, lors d'un voyage en Centrafique, en 1985. « Avec mépris, dédain, les Européens expatriés là-bas ne parlaient que de ça ! » Lui qui ne voyait pas matière à une recherche sérieuse a plongé. Et ses amis ne l'ont quasiment pas vu entre 1990 et 2000. Il a ingurgité toutes les connaissances disponibles sur le cannibalisme... Miam.
    « Cannibale est le premier mot qui a traversé l'Atlantique », nous apprend-il ainsi. La faute à Christophe Colomb. Notre grand découvreur n'a pas eu de chance. Il a posé le pied sur la mauvaise terre et elle était occupée par les voraces carib ou canib selon les traductions. Le vieux monde frissonne.

    Les voyageurs en rajoutent

    Cette re-découverte du cannibalisme (qui avait été banni par la civilisation grecque) coïncide avec l'invention de l'imprimerie. Elle permet l'incroyable succès de Nus, féroces et anthropophages, le récit de Hans Staden (1525-1576), arquebusier allemand capturé par les tupi-guaranis, fameux mangeurs d'hommes du Brésil. Les superbes gravures de Théodore de Bry font frémir dans les chaumières. On invente des histoires d'ogres.
    Ces XVIe-XVIIe siècles enthousiasment Georges Guille-Escuret. À cause « de la qualité d'observation des Jésuites ». Ils notaient tout scrupuleusement, pour un compte-rendu neutre au roi et au pape. « L'idéologie chrétienne n'était pas préparée à raconter ça », estime le chercheur qui accorde moins de crédit aux baroudeurs du XIXe siècle. « Ils avaient un code d'interprétation, des idées sur le féroce barbare et le bon sauvage. » Alors les voyageurs en rajoutent, pimentent leur récit pour les lecteurs des débuts de la presse.
    C'est l'époque de l'explorateur Stanley, qui arrive en Afrique accueilli par ce cri des autochtones resté célèbre : « De la viande, de la viande ! » Démêler le vrai du faux ? « Il y a eu des combats épiques au sein des chercheurs de la société d'anthropologie de Paris, à la fin du XIXe siècle », résume leur « descendant ». Puis silence radio. Plus rien de sérieux sur le sujet de 1914 à 1970. Il faut dire que la civilisation occidentale a dû digérer la grande boucherie de la Première Guerre mondiale, la Shoah, Hiroshima... Pas vraiment de quoi donner des leçons d'humanité...
    Soudain plus très sûrs d'appartenir à une société « supérieure », des chercheurs sont tombés dans l'excès inverse. Ils ont voulu réhabiliter les peuples dits premiers. « L'Américain Williams Arens a, par exemple, réinterprété les témoignages pour prouver que le cannibalisme n'a jamais existé. » Ce qui est faux, bien sûr. « On ne doit se poser ni en procureur ni en avocat de la défense du cannibale. »
    Dans la gigantesque étude - en Afrique, en Amérique et en Océanie - de Georges Guille-Escuret, retenons ces grandes lignes. Les cannibales n'étaient pas « sadiques ». Ils mangeaient, c'est tout. Ce n'est pas le fait de mâcher son semblable qui est violent, mais de le tuer. Le cannibalisme « n'était pas alimentaire », sinon les tribus auraient inventé l'élevage d'hommes. Il se pratiquait après un raid guerrier, « des périodes de stress social ». Le cannibalisme était aussi rituel. On mangeait ses morts ou ses malades, pour s'approprier leur corps.
    Georges Guille-Escuret nous avait conseillé d'y aller mollo, dans la rédaction de cet article, sur les jeux de mots culinaires et les images de Blancs bouillis dans la marmite. Contrat rempli. Pour se faire peur, il suffit de savoir que nous (les Français) sommes « déjà considérés comme des cannibales de deuxième type ». On mange des animaux qui vivent près de nous. Est-ce que cela se fera encore longtemps ? Des pays ont déjà accordé des droits de l'homme aux grands singes...
    Christelle GUIBERT.
    À lire. Les mangeurs d'autres (Cahiers de l'homme) et Sociologie comparée du cannibalisme (Puf). Du cannibalisme de haut niveau !


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