Cette fameuse nuit de 1789, on vit les plus grands noms de la noblesse et du haut clergé faire assauts successifs de
renonciation à leurs privilèges. Simple accès d'enthousiasme généreux dans un tourbillon d'évènements inimaginable quelques mois auparavant ? Pas seulement. Il faut garder à l'esprit que dehors,
depuis des mois, la misère et la famine rôdaient. Caisses vides, économie atone, pénurie de farine plus ou moins organisée, y compris par les plus hauts placés. De plus en plus de jacqueries dans
les campagnes, d'émeutes dans les villes. Rejet de payer impôts et taxes, refus d'en créer de nouveaux.
Bref pour les privilégiés et les profiteurs, il y avait de quoi paniquer. Cette peur et le souci de sauver l'essentiel ne
sont certainement pas étranger à l'élan soudain qui pousse alors les plus hauts placés à l'annonce publique de la renonciation à leurs privilèges. Tous ? non ! Totalement ? pas plus, car,
dès le 5 au matin, il sera bien précisé qu'il faudra les racheter et indemniser les tenanciers.
Mais quand même, la digue cédant, c'est le flot des attentes qui s'engouffrait. En deux semaines, la Déclaration des Droits
de l'Homme et du Citoyen était élaborée et, malgré les manoeuvrs dilatoires de l'entourage du roi, édictée. C'était fait. Une révolution était à l'oeuvre. Un monde nouveau s'ouvrait.
Deux siècles plus tard, notre monde n'étouffe-t-il pas, de nouveau, dans ses privilèges et ses privilégiés ? Alors que
partout en Europe, les peuples souffrent, ne voit-on pas les inégalités s'étaler ? Les riches accumulent plus encore et la paupérisation pousse, partout, inexorablement, au populisme.
Ne serait-il pas temps, à l'instar des aristocrates les moins obtus de l'époque, les bien pourvus d'aujourd'hui se rendent
compte qu'ils mettent en danger leur propre survie ? Et qu'ils s'accordent à remettre en cause leurs privilèges pour sauver l'essentiel : le dynamisme et la mobilisation des énergies
concitoyennes qui les nourrissent ?
Il existe une différence essentielle cependant avec 1789. Ceux qui pourraient s'identifier aux révolutionnaires
d'alors, le Tiers et ses Représentants, sont aujourd'hui, eux-mêmes, en tant que classes moyennes, tenants de nombreux privilèges qui bloquent les évolutions.
Oui, il est urgent de faire cesser les rémunérations indécentes et parachutes dorés. C'est une question autant d'économie que
de morale. Mais il ne faut pas s'arrêter là. Il faut aussi revenir sur les trop nombreuses niches fiscales, les exonérations de contributions, les allocations accordées sans condition de revenus,
les professions protégées, le refus de servir la collectivité bien que l'on ait bénéficié de dizaines d'années d'études payées ... etc ... Tout cela est irresponsable. En bloc. D'un coup ! Faute
de quoi, on trouvera toujours une excuse pour justifier de son propre privilège face à celui dont profitent les autres.
Oui, une nouvelle nuit du 4 Août est bien nécessaire. Elle serait même salutaire pour les générations qui nous
suivent et peinent à bénéficier de droits humains et démocratiques élémentaires.
Michel Duthoit
Président de l'ADRES
Pour Ouest-France